Vente d’une chose viciée dans les contrats franco-allemands: quel droit est plus favorable ? | Joanna Sobczynski

 

A l’heure où les échanges internationaux des marchandises sont monnaie courante, il n’est plus rare que les contrats conclus par une partie française soient soumis, par la volonté des contractants ou par le jeu naturel des règles de droit international privé, aux règles internes d’un pays étranger.

Connaitre les principales règles juridiques de l’Etat dans lequel a son siège notre partenaire commercial revêt toute son utilité lorsqu’au moment de conclure le contrat se pose la question du choix de la lex contractus ou lorsque survient un litige au moment de l’exécution et que le droit étranger est potentiellement applicable.

 

La France étant le principal partenaire commercial de l’Allemagne, nous avons choisi de nous intéresser à quelques spécificités du droit allemand de la vente d’un bien qui s’avère être non conforme ou défectueux.

 

  1. Quand le droit-allemand s’applique-t-il ?

 

Lorsque surgit une difficulté d’exécution d’un contrat international et avant toute réflexion au fond, se pose la question de la loi à laquelle est soumis ce contrat. C’est en effet cette loi qu’il conviendra d’interroger pour savoir si une règle de droit a ou non été violée et si oui quels sont les remèdes et obligations respectives des parties.

 

Cette étape préalable est indispensable dès lors que le contrat présente ou peut au premier abord présenter un élément d’extranéité tel que le siège d’une partie à l’étranger.

 

Afin de déterminer la loi applicable à un contrat de vente il convient de se poser plusieurs questions préalables :

 

  • Le contrat est-il régi directement par des règles matérielles issues d’une convention internationale telle que la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale des marchandises (« CVIM »)

 

  • Dans la négative, quelles dispositions de droit international privé (conventions, règlements, droit international privé interne) permettent de déterminer la loi interne applicable à ce contrat

 

Ce n’est qu’alors que se pose la question du contenu matériel de cette loi interne.

 

Sans rentrer dans le détail des divers instruments internationaux régissant la matière, et à supposer que la CVIM ne soit pas applicable, ou expressément écartée par les parties au contrat, la loi applicable au contrat de vente est déterminée :

 

  • devant le Juge français : par la Convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d’objets mobilier, celle-ci n’étant pas soumise à réciprocité

 

  • devant le Juge allemand : par les dispositions du Règlement (CE) N°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Règlement Rome I »), l’Allemagne n’étant pas signataire de la Convention de la Haye du 15 juin 1955

 

Toutefois, qu’il s’agisse de la Convention de la Haye ou du Règlement Rome I, les solutions sont assez semblables.

 

En vertu de ces textes le droit allemand de la vente peut être applicable :

  • lorsque les parties l’ont choisi au moyen d’une clause de choix de loi (article 2 de la Convention de la Haye, article 3 du Règlement Rome I)
  • en l’absence de clause de choix de loi, lorsque le vendeur a sa résidence habituelle en Allemagne (article 3 de la Convention de la Haye, article 4 du Règlement Rome I)

 

Ainsi même si la loi allemande n’a pas été choisie expressément par les parties, les juridictions françaises peuvent être amenées à l’appliquer lorsque le vendeur a son siège en Allemagne et ce, quelle que soit le lieu de livraison du bien. Dès lors que le contrat de vente est conclu avec un vendeur dont le siège social est situé en Allemagne, le droit allemand est applicable et régit les actions découlant d’un défaut du bien livré.

 

Sans être exhaustif, le présent article s’attardera sur quelques différences principales entre les régimes français et allemand de la chose viciée ou non conforme. La matière étant vaste et complexe, seul le cas des ventes entre professionnels sera évoqué et ce, de manière schématique.

 

 

  1. Les principales différences entre le droit allemand et le droit français de la vente d’une chose viciée

 

  • La définition du défaut : qualité convenue ou qualité habituelle ?

 

En droit français, il convient de distinguer le vice caché prévu par l‘article 1641 du Code civil et comprenant un défaut caché lors de la vente et qui rend le bien impropre à l’usage auquel il est destiné de la notion de défaut de conformité prévu par l’article 1641 du Code civil et désignant un manque de qualité convenue et qui est considéré plutôt comme un défaut apparent.

 

En droit allemand, il résulte de l’article 433 du Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch – « BGB ») que le vendeur est tenu de procurer à l’acheteur une chose exempte de défauts matériels et de défauts juridiques.

 

Selon l’article 434 du BGB, la chose est exempte de défauts matériels si elle possède, au moment du transfert des risques la qualité convenue ou pour autant que la qualité n’est pas convenue si elle est propre à l’usage habituel et qu’elle présente une qualité qui est courante pour les choses du même type et sur laquelle l’acheteur peut compter eu égard au type de cette chose ou selon les déclarations publiques du producteur, du vendeur ou de son préposé[1]. Les paragraphes 2 et 3 de l’article 434 du BGB disposent par ailleurs que le défaut matériel peut résulter d’un montage ou d’instructions de montage incorrectes ou si la chose livrée est différente ou de quantité insuffisante. Le bien est atteint d’un défaut juridique lorsqu’il est grevé d’un droit (article 435 du BGB).

 

 

  • Les droits de l’acheteur en cas de découverte du vice

 

En droit français, en cas de vices cachés, l’acheteur peut solliciter soit la résolution de la vente (action « rédhibitoire »), soit décider de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix (action « estimatoire »). L’acquéreur est parfaitement libre d’opérer le choix entre ces deux remèdes. Toutefois, la jurisprudence considère que lorsque l’acheteur accepte que le vendeur procède à la réparation du bien, il ne peut plus invoquer l’action en garantie des vices cachés (Cf. Cass. Com. 1er février 2011, D. 2011, 516).

 

Si le vendeur connaissait les vices de la chose (le vendeur professionnel est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir eu connaissance du vice), il est en plus tenu de réparer le préjudice causé à l’acheteur par la livraison d’un bien atteint d’un défaut (article 1645 du Code civil).

 

S’agissant du défaut de conformité, prévu par l’article 1604 du Code civil, l’acheteur peut demander une exécution en nature et/ou une réduction du prix (« réfaction » dans les ventes commerciales). Lorsque l’acheteur ne veut pas obtenir l’exécution forcée il peut opter pour la résolution du contrat. En tout état de cause l’acquéreur peut solliciter des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

 

La non-conformité est couverte par l’acceptation sans réserve de la marchandise lors de la livraison.

 

En droit allemand, la situation du vendeur est plus favorable puisqu’il se voit conférer une deuxième chance pour exécuter son obligation.

 

L’article 437 du BGB prévoit que l’acquéreur doit, en premier lieu, exiger l’exécution corrective, c’est-à-dire soit l’élimination du défaut soit la livraison d’une chose exempte de défauts. L’acheteur est tenu d’impartir au vendeur un délai supplémentaire, d’une durée raisonnable, pour l’exécution de ses obligations avant de pouvoir recourir aux autres remèdes (article 440 du BGB). Cette disposition témoigne de la faveur que le droit allemand réserve au vendeur. En privilégiant une exécution en nature, le droit allemand évite que le vendeur ne reprenne un bien déprécié par l’usage qui en a été fait par l’acquéreur.

 

C’est seulement si le vendeur refuse fermement d’exécuter son obligation ou qu’il échoue à nouveau dans l’exécution de son obligation dans le délai nouvellement imparti que l’acquéreur peut recourir aux actions rédhibitoire ou estimatoire.

 

En tout état de cause, en application de l’article 280 du BGB, l’acheteur peut exiger des dommages et intérêts ou le remboursement des dépenses vaines. Dans ce cas également, l’acheteur doit impartir au vendeur défaillant un délai raisonnable afin que celui-ci puisse réparer le dommage (article 281 du BGB). Une fois le délai écoulé, l’action en responsabilité contractuelle peut être mise en œuvre, la livraison d’une chose défectueuse étant considérée comme une violation des obligations contractuelles du vendeur (article 433 du BGB).

 

En matière commerciale, l’article 377 du Code de commerce allemand (Handelsgesetzbuch -« HGB ») prévoit que l’acheteur professionnel est tenu d’examiner la marchandise dès la réception et de dénoncer tout défaut apparent au vendeur. S’il ne satisfait pas à cette obligation, l’acquéreur professionnel ne pourra plus se prévoir des défauts cachés, à l’exception des vices apparents non dénoncés.

 

 

  • Le délai de prescription de l’action de l’acheteur

 

En droit français, le délai de prescription prévu par l’article 1648 du Code civil est de deux ans. Ce délai ne court qu’à compter de la découverte du défaut par l’acquéreur.

 

S’agissant de l’action en défaut de conformité elle se prescrit par cinq ans conformément à l’article 2224 du Code civil. 

 

En droit allemand, aux termes de l’article 438 du BGB, les actions relatives à un défaut du bien vendu, qu’il s’agisse d’un défaut de conformité ou d’un vice caché, se prescrivent par deux ans à compter de la livraison de la chose à l’acquéreur, sauf en cas de dol du vendeur auquel cas la prescription est trentenaire.

 

 

  • Le régime de l’action directe du sous-acquéreur

 

En droit français, le sous-acquéreur jouit d’une action directe en garantie des vices cachés ou en non-conformité à l’égard du fabricant ou du premier vendeur de la chose. Cette action est de nature contractuelle et se transmet aux acquéreurs successifs de la chose, comme accessoire de celle-ci. Chaque sous-acquéreur peut ainsi agir contre le fabricant ou le premier vendeur sur un fondement contractuel, sans qu’il soit nécessaire de se retourner contre les vendeurs successifs.

 

En droit allemand, comme dans la majorité des droits européens (à l’exception des droits français, belge et luxembourgeois), l’action contractuelle directe n’existe pas et l’action récursoire ne peut être exercée qu’entre les cocontractants professionnels directs appartenant à la même chaine de contrats. Le régime d’une telle action est complexe et restrictif.

 

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L’étude comparative des dispositions françaises et allemandes dans le domaine de la vente d’une chose défectueuse ou non conforme fait clairement apparaitre une certaine faveur du droit allemand pour le vendeur ainsi qu’un formalisme assez strict dans la mise en œuvre des actions.

 

L’exemple allemand montre que la rédaction d’un contrat de vente avec une partie étrangère ou la préparation d’une action en justice relative à un tel contrat nécessitent une étude approfondie tant des règles de droit international privé applicables au cas d’espèce que du contenu du droit étranger désigné par la règle de conflit. A cela s’ajoutent les règles de preuve du contenu du droit étranger, propres à chaque système juridique, et/ ou la barrière de la langue.

 

En ces matières complexes, la consultation d’un professionnel du droit international et comparé est un atout certain pour la sauvegarde de ses droits du contractant avisé.

 

[1] La définition allemande se rapproche davantage des articles L.211-4 et L.211-5 du Code de la consommation français, ce qui s’explique par le fait que tant le texte du BGB que le texte du Code de la consommation français ont pour origine la Directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation. Toutefois la définition allemande de défaut ne vise pas uniquement les biens de consommation puisqu’elle se situe dans le sous-titre « Dispositions générales » relatives au contrat de vente.